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Inoubliable tendresse qui fut celle de tes yeux - Littérature & poésie

Sujet de discussion : Inoubliable tendresse qui fut celle de tes yeux
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 24 avril 2014 à 21:57
    Inoubliable tendresse qui fut celle de tes yeux ; et quand tu es arrivé au Portugal pour l'ultime voyage, en cette chambre, tu t'es couché sans te dévêtir ; je t'attendais, croyant que tu n'étais pas arrivé, et quand j'ai vu ton corps frêle et dans son épuisement, j'ai senti une vague d'amour qui me dépassait ; j'aurais voulu t'embrasser mais tu étais un sauvage, tu m'as répondu de te laisser dormir fatigué.


    Et tu portais toujours au poignet un lourd bracelet africain noir ; il a fallu bien des hurlements et des mises en demeure pour que cette plaie purulente te soit par les pompiers épargnée ; je leur ai expliqué que c'était un suicide lent, ils ont écouté les mots désarmés de ce Français, avec l'attitude de ceux qui ne s'étonnent pas des moyens de destruction que les humains mettent en œuvre, pour se mettre au néant, pour que la peine acide redouble son effet, pour que soit détourné vers le corps usagé la destruction que l'esprit ne peut contenir.


    Combien de fois auras-tu montré le matin, au petit-déjeuner, qu'une peau t'empêchait d'аvаlег ; tu montrais les ganglions manquants, qu'ont enlevés les praticiens pour couper court à ton cancer ; tu grignotais, tu picorais ; quand j'ai vu ton corps décharné, une partie de moi a su que le voyage était fini, et je ne l'ai pas formulé serait-ce en mon for intérieur par des mots distincts et pesants ; je garde ta faiblesse en moi, j'ai en moi ces mots qui résonnent : "Tu as vu, j'ai tout mangé" ; vainement j'ai retiré du placard où il dormait cet appareil à mixer, mais tard, il était trop tard.


    Je garde en moi ce départ silencieux, absent de toi, sans me dire un au-revoir ; "Tu as vu, j'ai tout mangé" ; j'ai en moi ta silhouette, chaque jour il me revient de ces souvenirs précis qui font l'épaisseur des jours, nous sur le quai d'une gare à Tournon devant les vignes escaladant les coteaux, toi cueillant les trèfles du bonheur, toi désignant une espèce d'arbres et me la nommant distinctement, "Tu as vu, j'ai tout mangé", mais il était tard, trop tard, et ce n'est qu'aux роmреs fuпèbres que j'ai tenu ta main de mort pour te rendre un hommage d'amour, toi qui le voulait et le fuyait, toi qui l'espérait et le craignait.


    Il n'y a pas de retour, il n'y a pas de faux jours, nul arc-en-ciel à prévoir, nulle assomption dans les cieux, mon amour n'est pas dissipé, mon amour est au gré du temps, mon amour est en pointillé comme toute chose dans le temps.


    Et je pense à ces Ьаіsегs que nous aurons peu goutés, et ces Ьаіsегs nous manquent, ces Ьаіsегs sont brûlants, sur le point de sortir, au bout des lèvres éclos, ils rencontrent ton absence, pour toujours ton absence, un absent solitaire qui voyage en Algarve aux souterrains des morts avec une grand-mère, dont je ne me souviens quel était le prénom, sur la tombe gravé ; j'ai au souvenir les cactus qui servaient de garde-manger à certains oiseaux cachottiers, et que ta grand-mère étayait tant leur hauteur se projetait avec leurs piquants sans mesure ; souvenir que tu m'as conté, que je conserve en ma mémoire - mon souvenir est partagé entre nous deux, dorénavant et pour toujours.


    Climax69007, le Jeudi 24 Avril 1974


    La veille du quarantième anniversaire
    de la Révolution commencée
    le 25 Avril 1974 au Portugal
    (la Révolution dite des Œillets)
    qui a mis fin à quarante-huit ans
    de dictature fasciste, corporatiste,
    chrétienne, colonialiste,
    anticommuniste, antilibérale,
    antiparlementaire et policière
    (avec la Police Internationale de
    Défense de l’État, la PIDE,
    les hommes de main
    de António de Oliveira Salazar
    et de Marcelo Caetano).



    PS : pour la commodité de votre lecture j'ai divisé en paragraphes, mais en vérité il s'agit d'un seul bloc, et la division en paragraphes est un subterfuge pour que vos yeux s’accommodent à ce texte, et s'en accommodent.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 25 avril 2014 à 01:49
    Avis aux lecteurs ; tout texte - pour peu que les lecteurs le considèrent comme un tout inachevé, une œuvre en progrès, un ensemble à améliorer et pour peu qu'ils ne restent pas béats ou confondus ou méprisants devant celui-ci, et ne se contentent pas en passant et en expédiant, pour aller vite et ne pas s'attarder, d'un avis lapidaire (réprobateur ou laudateur) - est amendable, tant pour le vocabulaire que pour le rythme, ici divisible en huit, en dix, en 14 syllabes, mais aussi en sept syllabes.

    Je me prête volontiers à ces refontes, pour peu que le texte en sorte grandi : cf. le texte "J'ai palpé les mirages obscurcis dans ces yeux" en date du 7 Avril 2014, dans la même rubrique (il y a eu quatre états successifs pour ce sonnet, durant un travail étalé sur trois jours).
  • nigivir Membre élite
    nigivir
    • 25 avril 2014 à 03:42
    Merci Climax.
  • grand13 Membre expérimenté
    grand13
    • 25 avril 2014 à 10:22
    Ce texte ma beaucoup touché, j' ai un de mes frères atteint d'un cancer de la gorge et c'est comme dit le texte , on sort le mixeur pour l'aider à manger.
    je peux dire que personnellement je l'ai trouvé dure a lire sentimentalement, mais c'est du a mon frère.
  • yggdrasil Membre élite
    yggdrasil
    • 25 avril 2014 à 13:03
    "Tu as vu, j'ai tout mangé" pourrait être le titre d'une nouvelle entrecoupée de tes sonnets.

    "Tu as vu, j'ai tout mangé." Ces quelques mots étaient-ils le signe d'une amélioration ? Il n'y croyait pas ; tu n'étais pas dupe. Il a donné de l'aplomb à ses dires ; tu t'en es contenté. L'inverse aurait-il changé quoi que ce soit ? Sans doute pas. C'était surseoir à mourir ; un sursis contre son gré. Il se l'accordait en te l'accordant. Maintenant, la phrase se répète, obsessionnellement.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 26 avril 2014 à 01:00
    Yggdrasil, c'est la phrase la plus douloureuse pour moi, "Tu as vu, j'ai tout mangé", Simon avait tellement régressé que l'on aurait dit un petit enfant ; et au retour du Portugal, où il avait mangé de ces soupes de poissons qu'adorent les Portugais, et des soupes de légumes couramment mangées même à midi, oui j'avais sorti l'appareil à mixer, pour qu'il se fasse à manger à midi, comme au Portugal, où sa maigreur constatée - nous ne partagions pas la même chambre à Lyon, mais au Portugal si - m'a alarmée ; cette phrase, oui, pourrait être un titre ; je ne sais plus ce qui pouvait se passer dans la tête de Simon, mais cette phrase me déchirait ; je sais simplement que je ne peux qu'écrire ce qui s'est passé, et le moins mal possible.

    Je suis incapable, de suite, de réfléchir à cette phrase qui me bouleverse : "Tu as vu, j'ai tout mangé" : il voulait me rassurer, et se rassurer ; je me suis laissé donner le change un brin, mais je constatais aussi sa dégradation, son retrait progressif du monde.

    Oui, il me faut reprendre l'intégralité des sonnets, choisir les moins mauvais.

    L'amour est un étrange sentiment.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 26 avril 2014 à 01:05
    Ce texte ma beaucoup touché, j' ai un de mes frères atteint d'un cancer de la gorge et c'est comme dit le texte , on sort le mixeur pour l'aider à manger.
    je peux dire que personnellement je l'ai trouvé dure a lire sentimentalement, mais c'est du a mon frère.

    C'est un bel hommage à un texte que de pouvoir le lire, indépendamment de ce à quoi il se réfère, en lui donnant une dimension personnelle : c'est le but inavoué de tout écrivain ou "écrivant" (comme appelait Roland Barthes les amateurs d'écriture, non consacrés).

    Qu'un texte fasse aller à la rencontre de ses propres sentiments atteste, qu'au-delà de la situation référée, il peut évoquer de manière polyphonique bien d'autres faits particuliers à chacun.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 26 avril 2014 à 01:16
    Merci Climax.

    Hasbeen, ton "merci" ne me paraît pas du tout expéditif ; ce n'est pas le signe d'un passage négligent, et je crois que ce "merci" s'adresse à mon effort persistant de voir clair dans "cela" : mes sentiments, la mort de Simon, comment l'évoquer sans tomber dans un lyrisme hors de propos et en me gardant de la sécheresse descriptive.

    Si je ne le fais pas, en public, en ayant en tête que je peux me mentir à moi-même mais très peu abuser d'autres, comment le faire ?

    Aussi cet effort va-t-il se poursuivre, et je peux d'ores et déjà vous annoncer que des traductions du portugais de mon crû paraîtront en 2015, et qu'elle porteront en dédicace "A la mémoire de C.J. S. G. de Alm. [avec ses prénoms et noms développés en entier] (Portugal, 1958-13 Décembre 2013, Villeurbanne), avec toute ma tendresse".
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 26 avril 2014 à 02:26
    En me relisant je ne suis pas satisfait de l'aspect mélodramatique du premier paragraphe : je ne suis pas en accord avec celui-ci.

    Donc je révise.


    --------------------------------------------------------------------------------


    Solitude invétérée habitant au creux de tes yeux, seulement rompue de tendresse en des instants très passagers, tout comme les nuages au ciel soudain se rassemblent en été, avant qu'un orage crépite du faisceau de ses bruissements, de ses hurlements, de ses rages, de son rassemblement sauvage, de son ivresse torrentielle, arasant la terre au tréfonds, comme tu plantais un regard en me traversant le visage et tгапsperçais vers des lointains, ou était-ce vers un néant, ou un pays que j'ignorais ; quand tu es arrivé au Portugal, voyageant seul pour un dernier aller, en cette chambre tu t'es couché sans te dévêtir, je t'attendais à la réception, tu t'es faufilé comme un poisson, maigre et invisible et savonneux, échappant à toute perception ; tu t'es couché sans te dévêtir dans cette chambre dessous les toits ; les tramways grelottaient à Lisbonne et prenaient le tournant en crissant, et prenaient notre hôtel en écharpe en l'environnant de tintements ; je t'attendais, croyant que tu n'étais pas arrivé ; quand j'ai ouvert la porte et je t'ai vu dans la touffeur, quand j'ai vu ton corps replié dans son épuisement, tu murmurais alors que je désirais t'embrasser "Laisse-moi dormir", et j'ai rengainé cette tendresse encor malvenue.


    Et tu portais toujours au poignet un lourd bracelet africain noir, il te faisait une plaie ргоfопԁе ; il a fallu bien des hurlements pour que ce serrement purulent te soit par les pompiers épargné ; je leur ai expliqué que c'était un suicide lent, ils ont écouté les mots désarmés de ce Français, avec la présence de ceux qui ne s'étonnent pas des moyens de destruction que les humains mettent en œuvre, pour se mettre au néant, pour que la peine acide redouble son effet, pour que soit détourné vers le corps usagé l’œuvre mauvaise que l'esprit ne peut contenir.


    Combien de fois auras-tu montré à l'hôtel, le matin, au petit-déjeuner, qu'une peau t'empêchait d'аvаlег ; tu montrais les ganglions absents, qu'ont enlevés les praticiens pour couper court à ton cancer ; tu grignotais, tu picorais ; quand j'ai vu ton corps décharné, une partie de moi a su que le voyage était fini, et je ne l'ai pas formulé serait-ce en mon for intérieur par des mots distincts et pesants ; je garde en moi cette faiblesse, j'ai en moi ces mots qui résonnent : "Tu as vu, j'ai tout mangé" ; et revenu à Lyon, vainement j'ai retiré du placard où il dormait cet appareil à mixer, mais tard, il était trop tard.


    Je garde en moi ce départ silencieux, absent de toi, sans me dire un au-revoir ; "Tu as vu, j'ai tout mangé" ; j'ai en moi ta silhouette, chaque jour il me revient de ces souvenirs précis qui font l'épaisseur des jours, nous sur le quai d'une gare à Tournon devant les vignes escaladant les coteaux, toi cueillant les trèfles du bonheur, toi désignant une espèce d'arbres et me la nommant distinctement ; "Tu as vu, j'ai tout mangé", mais il était tard, trop tard, et ce n'est qu'aux роmреs fuпèbres que j'ai retenu ta main de mort pour te rendre un hommage de l'amour, toi qui le voulais et le fuyais, toi qui l'espérais et le craignais.


    Il n'y a pas de retour, il n'y a pas de faux jours, nul arc-en-ciel à prévoir, nulle assomption dans les cieux, mon amour n'est pas dissipé, mon amour est au gré du temps, mon amour est en pointillé comme toute chose dans le temps.


    Et je pense à ces Ьаіsегs que nous aurons peu goutés, et ces Ьаіsегs nous manquent, ces Ьаіsегs sont brûlants, sur le point de sortir, au bout des lèvres éclos, ils rencontrent une absence, pour toujours ton absence, un absent solitaire qui voyage en Algarve aux souterrains des morts avec une grand-mère, dont je ne me souviens quel était le prénom, sur la tombe gravé ; j'ai au souvenir les cactus qui servaient de garde-manger à certains oiseaux cachottiers et que ta grand-mère étayait, ils se projetaient dangereux dans un vacillement tendant leurs piquants sans mesure ; tu m'as conté ce souvenir, que je conserve en ma mémoire - mon souvenir est partagé entre nous deux, dorénavant et pour toujours.

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