En principe, le 11 novembre est bien un jour de commémorations ; la commémoration d'une guerre, non pas vraiment une fête nationale au sens propre et strict du terme. On ne célèbre plus tellement une victoire, mais on se rappelle d'une guerre, de ses causes ; de ses conséquences. On peut vouloir récuser cette date par horreur de la guerre et par contestation des politiques va-t-en-guerre qui ont saigné le monde, au XXe siècle. Cette attitude n'est sans doute pas blâmable. Mais l'effort de mémoire est plus que jamais utile.
La Première guerre mondiale a effectivement été provoquée par des politiques nationalistes de manipulation de l'opinion publique. Mais le problème est qu'elles ont fait mouche ; elles ont été souhaitées démocratiquement par une partie des citoyens et des penseurs politiques. Elles ont trouvé, auprès des citoyens, un terreau fertile propre à leur épanouissement. Cette guerre est le fruit nauséabond développé sur le rameau des nationalismes contemporains. D'abord, le bourgeon des identités culturelles nationales a éclos à la faveur des mouvements romantiques, exaltant la culture, les histoires et l'Histoire nationales autour d'une langue, d'un art et d'une littérature propres à chaque nation. Ce nationalisme a pu fleurir grâce au rejet des projets européistes, avant de fructifier sous l'influence des mouvements politiques favorables au repli patriotique de chaque nation.
Résurgence des idées identitaires autour d'une culture nationale franco-française, rejet de l'Europe plutôt que la réforme de ses institutions, montée des partis nationalistes favorables au repli politique et économique pour mieux fustiger "l'étranger à la nation" : le contexte est très différent, mais ces facteurs raisonnent aujourd'hui d'une actualité criante, par delà un siècle d'histoire. Alors, non, la guerre n'est pas pour demain, ni pour après-demain. Mais oui. Commémorons : "souvenons-nous ensemble". Prenons le temps de réfléchir à ce qui engendre les guerres. Prenons garde, aussi, à ne pas laisser fermenter les absurdités qui pourront un jour déchirer les peuples.
Par ailleurs, des êtres humains en nombre considérable ont perdu la vie, et les combats de la mémoire, à propos de la Grande guerre, ne sont pas achevés. A titre d'exemple, personne n'a eu le courage de sortir définitivement des abysses le serpent de mer des fusillés pour l'exemple : tous ces hommes qui, de guerre lasse, en proie au choc post-traumatique, se sont trouvés littéralement paralysés. Ils n'ont pu se lever pour monter au front une fois de plus, après avoir enduré les pires horreurs ; après avoir risqué maintes et maintes fois une balle perdue, un éclat d'obus ou le gaz moutarde ; après avoir tué pour la France ; après avoir pataugé dans la boue, le sang et les boyaux de leurs frères d'armes. On les a traités de lâches. Un jugement sommaire a été prononcé ; il a abouti à une exécution du même métal. On les a déshonoré aux yeux de leur peuple et de leur famille ; on a déshonoré leurs familles. Fi des mesurettes timides et ponctuelles, manquant de courage : il est temps maintenant de décider légalement d'une réhabilitation générale et officielle. Jusqu'alors, une telle mesure n'a jamais abouti.