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"L'imprescriptible" - de Vladimir Jankélévitch - Littérature & poésie

Sujet de discussion : "L'imprescriptible" - de Vladimir Jankélévitch
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 28 décembre 2012 à 20:57
    Je souhaite vous présenter un livre (de 103 pages) qui me tient à cœur :

    "L'Imprescriptible. Pardonner ? Dans l'honneur et la dignité",

    de Vladimir Jankélévitch.


    Ce livre de philosophie morale, écrit à l'occasion de l'approche de la prescription - vingt ans après les faits - des horreurs d'Auschwitz et de Birkenau, camps de la mort planifiée et industrielle, est un livre majeur.

    Mordant par son ironie, incisif envers ceux qui ont toujours penché vers l'oubli car le régime de Pétain et l'occupation de la France par les nazis ne leur auront guère causé que des problèmes de ravitaillement, moqueur envers les bourreaux et leurs complices et adeptes - ceux qui agirent, ceux qui prêtèrent leur inattention et leur silence comme le pape ou le président américain à la possibilité de l'anéantissement des juifs, ceux qui furent des opportunistes pour qui la carrière se dégageait à la faveur d'interdictions professionnelles, ceux qui comme les Polonais déléguèrent le crime à un autre peuple -, ce livre médite sur les conditions du pardon.

    Ceux qui ont commis ou assisté, sans mot dire, les atrocités ont-ils jamais demandé pardon ?

    Se sont-ils tournés vers les montagnes de cendres, vers les montagnes de cheveux entreposés, vers les dents arrachés aux cadavres avant leur incinération dans les crématoires et les ont-ils considérés ?

    Non, car cela réclamerait d'eux qu'ils reconnaissent une identité humaine à leurs victimes juives qui ont subi un crime qui leur déniait toute humanité, tout être.

    L'anéantissement des Juifs d'Europe constitue un crime unique, et d'une signification universelle qui en fait l'affaire de tous, en ce sens qu’était visée et niée l'humanité constitutive d'eux-mêmes et de tout être humain.

    Pouvons-nous, nous les survivants, nous substituer aux victimes ? Non, nous ne pouvons que les sauver d'un second anéantissement, accompli par le temps et par les oublieux, en nous remémorant, et en commémorant.

    Il y a des déploiements d'ignominie, de tortures raffinées et de subtilités регvегses qui d'être comparés à d'autres, perdent, au profit des révisionnistes de l'histoire, leur singularité ; c'est tout profit pour les successeurs des bourreaux. A noter que Jankélévitch, jamais, ne commet l'indécence de mettre au sommet la souffrance juive ; il souligne que sa singularité est de s'être accomplie dans la déréliction, l'absence d'issue, l'aЬапԁon et l'indifférence à peu près générale.

    Il n'y a que du silence à Auschwitz ; ce silence ne peut pas pardonner. Les êtres anéantis ne peuvent pas pardonner.

    Alors, que la France et d'autres nations aient déclaré les crimes de guerre imprescriptibles est une bonne chose, saine et digne ; mais ce qui rend ces crimes - les six millions de Juifs anéantis - imprescriptibles est que certaine monstruosité, certain mal acharné, certain vice métaphysique ne peut provoquer qu'un ressentiment sans fin, à la hauteur de l'infamie.


    TEL EST LE PROPOS DE VLADIMIR JANKÉLÉVITCH : "Le pardon est mort dans les camps de la mort" !



    C'est une saine réflexion qui jette une lumière crue sur toutes les commissions de "vérité et réconciliation" et sur toutes les lois d'amnistie qui, ici et là, en Espagne après le franquisme, au Rwanda après la génocide, en Afrique du Sud après l'apartheid, tentent de bâillonner les cris des proches, des parents et des amis des assassinés.


    Le livre de Vladimir Jankélévitch est disponible dans la collection "Points" (dont il est le numéro 327), pour cinq euros et soixante centimes, ISBN (numéro identifiant international du livre) : 2-02-029695-0.


    9782020296953FS.gif
  • asiat68 Membre émérite
    asiat68
    • 28 décembre 2012 à 21:10
    Merci de parler de ce livre. Parmi tant d'autres, l'auteur essaye de hurler à la face du monde : "n'oubliez jamais, essayez d'en tirer les conséquences dans votre façon de voir le monde et ses actions, n'oubliez jamais". Et pourtant le monde a oublié, il y a eu d'autres crimes contre l'humanité en même temps que ceux perpétrés par les nazis, il y en a eu tant d'autre de cette époque à la notre, il s'en perpétue d'autres au moment où j'écris ces lignes. La réaction la plus répandue est celle de l'autruche, le refus de voir, d'analyser, de comprendre ! Dormez en paix citoyens du monde ..... vous vous réveillerez le jour où vous serez la cible
  • bugsbunny Membre expérimenté
    bugsbunny
    • 28 décembre 2012 à 21:27
    Bonsoir, et merci pour d'avoir partagé :)
    il a l'air interessant, j'espere que l'auteur n'a pas un style d'écriture difficil à comprendre sinon c'est mort pour moi je ne pourrai pas tellement le comprendre, mais il a l'air bien, merci encore et très joli phrase de la part de on voisin au dessus à la fin de son commentaire [...]Dormez bien,vous vous reveillerez lorsque vous serez la cible
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 28 décembre 2012 à 21:52
    La force de ce livre est de nous forcer, au-delà du génocide des Juifs européens, à une réflexion sur les génocides : les négations des êtres humains dans leur humanité constitutive et première.

    Écrit "à l'occasion de" l'approche d'une indigne amnistie par l'écoulement du temps - comme si le temps, écrit Jankélévitch, pouvait avoir une puissance normative -, ce livre est une méditation

    - furieuse,

    - indignée,

    - militant contre l'oubli paresseux ;

    - qui ne fait pas de la souffrance juive le modèle indépassable auprès de quoi tout génocide autre serait négligeable, car cela, c'est déjà une démarche révisionniste qui réside dans la comparaison des souffrances pour les relativiser, puis les mettre en balance, pour finalement les amoindrir et les nier ;

    - qui prévoit l'aboutissement à des ignominies comme "L’État d'Israël refuse leur État aux Palestiniens ; les Juifs sont des bourreaux qui occupent et tuent ; donc, je ne vais pas reconnaître qu'il y a eu un génocide des Juifs en Europe, puisque l’État d'Israël s'en pare, s'en empare à des fins de propagande ; les Juifs sont des bourreaux comme les autres", comme si le gouvernement israélien était identifiable aux Juifs en général, comme si les Juifs d'Europe anéantis étaient identifiables à Israël, comme si la politique d'Israël justifiait a posteriori le nazisme annihilant les Juifs européens.


    En principe, la philosophie morale est bien niaise, par ses prétentions à édicter des règles morales absolues ; ce livre-là, qui n'est pas moraliste, est, par sa réflexion sur les conditions du pardon, unique, facile à lire, convaincant, à tenir à portée de la main, vivifiant. Je le relis, souvent.

    Oui, il y a des livres à lire, sans tarder, comme celui-ci.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 28 décembre 2012 à 22:02
    Bonsoir, et merci pour d'avoir partagé :)
    il a l'air interessant, j'espere que l'auteur n'a pas un style d'écriture difficil à comprendre sinon c'est mort pour moi je ne pourrai pas tellement le comprendre, mais il a l'air bien, merci encore et très joli phrase de la part de on voisin au dessus à la fin de son commentaire [...]Dormez bien,vous vous reveillerez lorsque vous serez la cible

    Jankélévitch, dans ce livre, se moque, justement, du jargonnant Heidegger, auquel il ne reproche pas tant son passé nazi que son silence après la guerre sur le génocide des Juifs. Le "grand homme" de l'existentialisme n'avait rien à en dire ; et tout ce qu'il aura dit du Troisième Reich se résume à le considérer comme un emballement extrême de la technique à l'ère de la technique, point final. C'est maigre.

    Jankélévitch ironise sur le fait que le "grrrand" philosophe Heidegger, lui, mourra dans son lit de "grand philosophe", alors que les Juifs seront morts gazés, pour être brûlés, par millions.

    Rassure-toi, Bugsbunny : Jankélévitch n'a jamais pratiqué le jargon obscur à la mode de Heidegger ; dans ses livres autres que celui-ci, il utilise juste ce qu'il faut de langage spécialisé.

    Quant à "L'Imprescriptible", toute personne francophone peut le lire avec facilité : l'approche en est aisée, le raisonnement limpide, la phrase simple ; la difficulté est dans le profit à retirer de cette lecture, pour soi-même, donc dans ce que cela provoque de réflexion en nous.



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    ------- Oui, Asiat68 et Bugbunny, toute personne à qui l'on nie son humanité diverse, toute personne faite bouc émissaire en raison de son appartenance supposée à un groupe, tout groupe réduit par la haine à une essence comme "les Juifs" ou "les Arabes" ou "les hоmоsехuеls" est susceptible d'être victime d'une annihilation.

    Les catégories de cette sorte sont de formidables machines de guerre contre l'humanité.

    Soit dit en passant : toute appartenance est un fait construit par l'idéologie et non un fait de nature.

    Nous sommes "hоmоsехuеls", mais "les hоmоsехuеls" sont un groupe construit par des gens qui présupposent une communauté homogène et prévalant sur le "reste" de leur être chez tout "hоmоsехuеl". Et cette opération mentale, qui construit un groupe, n'est pas anodine : elle divise à grands traits l'humanité en espèces inconciliables, irréconciliables, ennemies, exclusives les unes des autres.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 28 décembre 2012 à 23:16
    Asiat68 me remercie de parler de ce livre. Bien sûr que j'accepte le remerciement, oui !

    Mais, à vrai dire, je DEVAIS vous présenter ce livre : je ne peux pas faire autrement ; il me retient depuis si longtemps ; je l'ai retrouvé aujourd'hui parmi d'autres livres ; je l'ai relu ; j'y trouve toujours l'esprit vif et alerte et clairvoyant de Jankélévitch.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 28 décembre 2012 à 23:51
    (p. 69) [Prononcé à l'UNESCO, pour le vingtième anniversaire de la Libération]

    "C'est donc le recueillement et c'est la fidélité aux souvenirs qui nous rassemblent ce soir : ce soir, et pour un soir, nous penserons plutôt au passé qu'à l'avenir. L'avenir, nous le retrouverons demain, avec notre lutte journalière pour la démocratie, - car l'avenir est le pain quotidien de l'action. Mais le passé ! qui le fera revivre ? Qui défendra ces martyrs, ces fusillés ? Nous sommes ici pour cela même, n'est-ce pas ? (...) Tout à l'heure le "Requiem" de Fauré, dans sa langue ineffable, va exprimer tout ce que nous sentons et ne pouvons dire, et qui pourtant se formule obscurément dans nos cœurs : la sublime imploration du "Libera me" évoquera notre propre Libération, puisque c'est cette Libération que nous commémorons aujourd'hui. Mais nous penserons aussi, en écoutant le "Dies irae", aux jours de la colère et de la calamité, de la tribulation et de l'inexprimable misère, et au lac obscur qui a englouti tant de vies précieuses. Nous ne sommes pas ici de ceux pour qui il ne s'est rien passé entre 1940 et 1944 : mais la honte et l'humiliation de ces années maudites sont tгапsfigurées pour nous par l'exemple impérissable de ceux qui sacrifièrent à la liberté leur avenir et leur jeunesse."



    Le requiem évoqué dans le texte ci-dessus.
    Je ne prétends pas que ce soit la meilleure interprétation, mais vous pourrez en même temps visiter Lyon : il s'agit d'un enregistrement dans la cathédrale Saint-Jean, de Lyon.


  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 29 décembre 2012 à 22:45
    Plus haut j'écris que le livre de Vladimir Jankélévitch n'est pas "moraliste" ; je voulais écrire que ce livre n'est pas "moralisateur" : il ne fait la leçon à personne ; c'est un flot d'indignation, contre les oublieux, contre ceux qui estiment que l'on parle trop des camps et des Juifs et des résistants, contre la bourgeoisie pétainiste reconvertie dans le gaullisme (le rempart de l’État bourgeois après la seconde guerre mondiale) [propos expressément tenus par Jankélévitch, p. 102 & p. 103], contre les antisémites reconvertis en antisionistes, contre les amateurs de vacances douces en Autriche, contre la "réconciliation" européenne qui se fait par l'oubli des victimes, contre ceux qui oublient d'autant plus que Vichy fut pour eux une époque bénie - "la divine surprise" de Maurras -, ...

    C'est un livre hautain et ravageur.
    Pour défendre ceux qui n'ont plus de voix, et que l'époque passe aux profits et pertes, négligemment.

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