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Luís Vaz de Camões - Le poète lyrique - Littérature & poésie

Sujet de discussion : Luís Vaz de Camões - Le poète lyrique
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 1 août 2012 à 00:03
    Bon, ce n'est pas le première fois - ni la dernière ! - que je vous toucherai quelques mots de celui qui a écrit la seule épopée moderne lisible "Les Lusiades = Os Lusíadas" (magnifiquement traduit par Roger Bismut, en volume bilingue,, dans la collection "Bouquins").

    Du seizième siècle, davantage que les poètes français de son époque redevable aux tгоubadours de langue occitane (de fait la première croisade, la croisade contre les Albigeois, en France, aura coupé le fil de la tradition du chant d'amour, qui par contre aura eu des rejetons galiciens puis portugais et catalans brillants, plus fidèles, plus proches, qui imprégneront la poésie lyrique jusqu'à quatre siècles après), souvent sombre et mélancolique, désillusionné, détrompé, écrivant pour donner avis aux autres des traquenards et des faux-semblants de l'amour, Camões a peu chanté l'amour heureux.

    L'amour a ses embuscades, ses impermanences, ses raffinements de cruauté, ses refus, ses esquives, ses dédains, ses alarmes ; rarement chez Camoens [orthographe ancienne] l'amour arbore un bon visage gracieux. Et lorsque c'est le cas, nous avons affaire à un poème qui est une copie du "dolce stil nuovo" italien, avec ses invariants (le beau visage de la dame, blanc, avec du rose, une lueur éblouissante, une beauté indicible, bref un tableau fait et refait).

    Ses poèmes lyriques, d'un point de vue formel, sont des réussites, tant pour le rythme, la rime que pour l'euphonie délicate qui les caractérise ; par ailleurs, la densité conceptuelle, le sens de la formule ramassée en font des singularités impaires au seizième siècle portugais, hormis un autre poète majeur, Bernardes.

    --- Camões, pour la poésie, est le mаîtге fondateur des lettres lusophones.

    --- Pour le théâtre, c'est Gil Vicente - le "Molière portugais" mort en 1536, un siècle et demi avant Molière - qui savait croquer les personnages et leur donner de la substance et ainsi donner à ses pièces leur élan principal par le simple jeu des registres et des particularités de langage - et ça, c'est admirable : une action qui résulte surtout de ce que disent les personnages, sans rebondissements, sans grandes machines scéniques, sans "Deux ex machina", sans péripéties à la "commedia dell'arte". Un grand dramaturge, oui, donne la parole à ses personnages d'où découle par les dialogues, et les récitatifs, ce qui fait la chair de la pièce : Gil Vicente, de ce point de vue, est supérieur à Molière, est un sommet littéraire.

    --- Pour la prose, c'est un jésuite - peu orthodoxe, bien qu'il ait prêché devant les rois du Portugal, car il fut mis en prison et mis en procès par l'Inquisition pour cause de croyances messiaпіԛuеs en un "Cinquième Empire", c'est-à-dire un Royaume en ce monde où il y ait justice, égalité et paix -, le Père jésuite António Vieira - que Fernando Pessoa, le grandiose poète du vingtième siècle portugais, l'homme aux personnalités multiples, nommait "l’Empereur de la langue portugaise" -, jésuite dont les sermons - foi d'athée qu’ennuient les psalmodies de sacristie !!! - sont des chefs-d’œuvre de finesse, d'intelligence et de rouerie drolatiques, voire de charges peu charitables mais tellement justes contre les exploiteurs, les cupides, contre les notables, contre les bien-assis et les "bien-pensants" !!!

    --- Et bien entendu, Fernando Pessoa est l'être où convегgеnt et se refondent et entrent en un jeu polyphonique tous les héritages, mais aussi toutes les modernités qui irriguèrent le Portugal : son immense patrimoine resté inédit (à part un poème comme "Mensagem = Message", des poèmes en langue anglaise car Pessoa passa une partie de son enfance en Afrique du Sud et connut une éducation britannique, quelques bribes ici et là, des publications d'essence ésotérique tournées vers la Kabbale ou la Franc-Maçonnerie et sa défense contre l’État corporatiste-fasciste de Salazar), son immense legs littéraire (des milliers de pages à classer !!) depuis des années, est en voie de publication, et il promet des merveilles !


    APRÈS CETTE PRÉSENTATION DE CAMÕES ET CE TOUR D'HORIZON DES МАӏТRЕS FONDATEURS DES LETTRES DE LANGUE PORTUGAISE ET NON SEULEMENT DES LETTRES PORTUGAISES CAR NOTRE JÉSUITE ANTÓNIO VIEIRA AURA PASSÉ LA PLUS GRANDE PARTIE DE SA VIE AU BRÉSIL, VENONS-EN A CAMÕES LUI-MÊME :

    ---- Un sonnet de Luís Vaz de Camões ou une imploration non exempte d'aigreur vengeresse, après la plainte :

    "Senhora já desta alma, perdoai
    de um vencido de Amor os desatinos ;
    e sejam vossos olhos tão beninos
    com este puго amor, que d’alma sai.

    A minha pura fé somente olhai,
    e vede meus extremos se são finos ;
    e se de algũa pena forem dinos,
    em mim, Senhora minha, vos vingai.

    Não seja a dor, que abrasa o triste peito,
    causa por onde pene o coração,
    que tanto em firme amor vos é sujeito.

    Guardai-vos do que alguns, Dama, dirão ;
    que, sendo raro em tudo vosso objeito,
    possa morar em vós ingratidão."



    "Маîtгеssе établie dans cette âme, pardonnez
    D’un éperdu d’Amour les excès qui l’animent ;
    Et que vos regards soient fortement magnanimes
    Envers ce pur amour, qui dans mon âme est né.

    A ma pure affection seulement regardez,
    Et voyez mes moyens, combien ils se raffinent ;
    Et, si de quelque peine ils se révélaient dignes,
    Sur ma chair, Madame, une vengeance prenez.

    Que ne soit la douleur, qui m’a tout endeuillé,
    Le biais par où faiblisse autant de promptitude
    Qui d’un très-ferme amour se rend votre sujet.

    Prenez garde, Madame, aux dits des multitudes ;
    Qu’en étant chiche en tout ce qui est votre objet,
    Que puisse être à demeure en vous l’ingratitude."

    (traduction personnelle) On notera le coup de pied final, dans la tradition des concetti italiens !!! Camoens pouvait avoir la dent dure : souffrir, certes, mais tout a une fin, même la douleur infinie, grâce à ces jeux de mots qui ponctuent fréquemment, en reproche final, pour se venger de l'inflexible hautaine et désinvolte, le dernier vers.


    --- Un autre sonnet ou les contradictions de l'amour :

    "Amor é um fogo que arde sem se ver,
    é ferida que dói, e não se sente ;
    é um contentamento descontente,
    é dor que desatina sem doer.

    É um não querer mais que bem querer ;
    é um andar solitário entre a gente ;
    é nunca contentar-se de contente ;
    é um cuidar que ganha em se perder.

    É querer estar preso por vontade ;
    é servir a quem vence o vencedor ;
    é ter, com quem nos mata, lealdade.

    Mas como causar pode seu favor
    nos corações humanos amizade,
    se tão contrário a si é o mesmo Amor ?"



    "L'Amour est un brasier qui brûle sans se voir ;
    C'est une plaie dolente, et qui ne se ressent ;
    C’est un contentement qui se fait mécontent ;
    C’est une souffrance affolant sans émouvoir.

    C'est ne pas désirer bien plus que bien vouloir ;
    C’est marcher solitaire au beau milieu des gens ;
    C’est ne se contenter jamais d’être content ;
    C’est un souci qui gagne en perdant son pouvoir.

    C'est d’être prisonnier former le vœu plénier ;
    C’est vainqueur restituer au vaincu les honneurs ;
    C’est garder envers qui nous tue la loyauté ;

    Cependant comment peut engendrer sa faveur
    Parmi les sentiments humains un soin dévoué,
    Si autant contraire à lui-même est cet Amour ?"

    (traduction personnelle)


    Vous trouverez, aux éditions Chandeigne, une traduction de quatre-vingt-dix sonnets de Luís Vaz de Camões, traduits par Anne-Marie Quint et Maryvonne Boudoy, pour dix euros et vingt centimes (prix de l'édition datée de 2011). On attribue à Camões, dont la poésie fut éditée de manière posthume et souvent transmise, en outre, par des chansonniers manuscrits, comme toute poésie de cour commanditée, d'où de délicates questions de paternité littéraire, autour de deux cent trente sonnets, qu'on estime de lui avec un grand degré de certitude ; il a, par ailleurs, cultivé abondamment des genres spécifiquement portugais.



    PS : le seul рlаіsіг du savoir, glané avec constance et passion, est d'en transmettre le feu, la joie. Toujours inachevé et fragmentaire, le savoir, dans son partage avec d'autres, est stimulé et enrichi en retour par cette communication du feu. Le seul рlаіsіг que vous pourriez me faire serait D'ÊTRE SENSIBLEMENT ÉMU PAR CAMÕES ; QU'UNE BRÈCHE, PUIS UNE PLACE S'OUVRENT DANS VOTRE ESPRIT ET VOTRE CŒUR AUX RICHESSES CULTURELLES DU PORTUGAL ( le premier pays européen constitué où il y eut un métissage culturel durable, ineffaçable, malgré les efforts réducteurs et sanglants de l’Inquisition avec ses autos da fé ; voilà où est la grandeur du Portugal, outre l'ouverture de la vision européenne du monde, par les Grandes Découvertes, à la dimension planétaire pluriculturelle). JE VOUS REMERCIE AVEC GRATITUDE POUR VOTRE LECTURE PATIENTE.

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