Je disais à une amie : " Il y a deux sortes de femmes. La femme - bibelot que l'on peut manier , manipuler, embrasser du regard, et qui est l'ornement d'une vie d'homme. Et la femme - paysage. Celle-ci, on la visite, on s'y engage, on risque de s'y perdre. La première est verticale, la seconde horizontale. La première est volubile, capricieuse, revendicatrice, coquette. L'autre est taciturne, obstinée, possessive, mémorante, rêveuse."
Elle m'écoutait le sourcil froncé, cherchant dans mes paroles ce qui pouvait être désobligeant pour elle. Alors pour la faire rire, je feignis de reprendre mon exposé en d'autres termes : " Il y a deux sortes de femmes,répétai-je. Celles qui ont le bassin parisien, et celles qui ont le bassin méditerranéen " et j'indiquais des mains une petite et une grande largeur. Elle sourit, tout en se demandant avec un reste d'inquiétude si je ne la classais pas dans le genre large - auquel elle appartient d'ailleurs sans l'ombre d'un doute.
Car cette garçonne, cette débrouillarde est indiscutablement une femme - paysage; un bassin méditerranéen. Elle a un corps ample, accueillant, maternel. Je me gardai de lui dire de peur de l'irriter - car pour elle la parole est toujours сагеssе ou agression, jamais miroir de vérité - et je lui taisais plus encore les réflexions qui me venaient par exemple en posant ma main sur l'os de sa hanche, très développé, en forme de promontoire, ԁоmіпапt tout le reste du paysage. Entre les massifs des cuisses, le ventre fuit, combe frileuse et creusée d'anxiété...
Je m'interrogeais sur cette notion mystérieuse : le sехе de la femme. Ce n'est certes pas ce ventre décapité qui peut prétendre à ce titre, sinon en vertu de la symétrie que présentent grossièrement le corps de la femme et celui de l'homme. Le sехе de la femme. On serait sans doute mieux inspiré en le cherchant au niveau de la роіtгіпе qui porte triomphalement ses deux cornes d'abondance.
La bible jette sur cette question une étrange lumière. Quand on lit le début de la Genèse, on est alerté par une contradiction flagrante qui défigure ce texte vénérable. Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il les créa mâle et femelle. Et Dieu les bénit, et il leur dit : " soyez féconds, croissez, multipliez, remplissez et sоumеttez la..."
Ce soudain passage du singulier au pluriel est proprement inintelligible, d'autant plus que la création de la femme à partir d'une côte d'Adam n'intervient que beaucoup plus tard, au chapitre II de la Genèse. Tout s'éclaire au contraire si l'on maintient le singulier dans la phrase que je cite. Dieu créa l'homme à son image, c'est à dire mâle et femelle à la fois. Il lui dit : " Crois, multiplie ", etc.
Plus tard, il constate que la solitude impliqué par l'hermaphrodisme n'est pas bonne. Il plonge Adam dans le sommeil, et lui retire, non une côte, mais son " côté ", son flanc, c'est à dire ses parties sехuеllеs féminines dont il fait naître un être indépendant.
Dès lors on comprend pourquoi la femme n'a pas à proprement parler de parties sехuеllеs, c'est qu'elle est elle-même partie sехuеllе : partie sехuеllе de l'homme trop encombrante pour un port permanent, et donc déposée la plupart du temps, puis au besoin reprise. C'est d'ailleurs le propre de l'homme - à l'opposé de l'animal - de pouvoir à tout moment s'ajuster un instrument, un outil, une arme dont il a besoin justement, mais qu'il peut aussitôt se débarrasser, au lieu que le homard est condamné à traîner toujours ses deux pinces avec lui. Et de même que la main est l'organe d'accrochage qui permet à l'homme de s'ajuster selon ses besoins un marteau, une épée ou un stylo, de même son sехе est organe d'accrochage des parties sехuеllеs, plutôt que partie sехuеllеs lui même.
Si telle est la vérité, il faut juger sévèrement la prétention du mariage qui est de ressouder aussi étroitement et indissolublement que possible ce qui fut dissocié. Ne réunissez pas ce que Dieu a séparé ! Vaine adjuration ! On n'échappe pas à la fascination plus ou moins consciente de l'Adam archaïque, bardé de tout son attirail reproductif, vivant couché, incapable de marcher peut-être, de travailler à coup sûr, perpétuellement en proie à des transports amoureux d'une perfection inouïe - possédant - possédé d'un même élan-, si ce n'est sans doute - et encore qui sait !-pendant les périodes où il se trouvait enceint de ses propres œuvres. Alors quel ne devrait pas être l'équipage de l'ancêtre fabuleux, homme porte -femme devenu de surcroît porte - enfant, chargé et surchargé, comme ces poupées gigognes emboîtées les unes dans les autres !
L'image peut sembler risible. Moi - si lucide pourtant en face de l'aberration conjugale-elle me touche, elle m'éveille à je ne sais quelle nostalgie atavique d'une vie surhumaine, placée par sa plénitude même au-dessus des vicissitudes du temps et du vieillissement. Car s'il y a dans la Genèse une chute de l'homme, ce n'est pas dans l'épisode de la pomme - qui marque une promotion au contraire, l'accession à la connaissance du bien et du mal - mais dans cette dislocation qui brisas en trois l'Adam originel, faisant choir de l'homme la femme, puis l'enfant, créant d'un coup ces trois malheureux, l'enfant éternel orphelin, la femme esseulée, apeurée, toujours à la recherche d'un protecteur, l'homme léger, alerte, mais comme un roi qu'on a dépouillé de tous ses attributs pour le sоumеttге à des travaux serviles.