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Presque rien = Next to Nothing, Paul Bowles (2) - Littérature & poésie

Sujet de discussion : Presque rien = Next to Nothing, Paul Bowles (2)
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 28 octobre 2012 à 00:11
    ---- Paul Bowles (mort à Tanger, en 1999), qui vécut au Maroc avec son épouse, après les quatre années de silence qui suivirent la mort de sa femme, publia, en 1977, un long poème qui a donné son nom à ses "Poèmes choisis" (Collected Poems, 1926-1977), publiés par Black Sparrow Press en 1981, "NEXT TO NOTHING".

    C'est son plus long poème, de toute sa vie.

    ---- Références : Next to Nothing = Presque Rien : édition bilingue / par Paul Bowles ; traduction par Daniel Martinez. - Édition des Deux-Siciles, 2010. - Prix de six euros et cinquante centimes. - ISBN (numéro identifiant international du livre) : 978-2-84991-025-2.

    ----- Le poème "Next to Nothing" est un bel exemple de la prose poétique anglaise.

    Avec une rythmique subtile et des jeux de sonorités tout aussi élaborés.

    Le texte présente une apparence peu travaillée ; mais essayez de parvenir à ce dépouillement, à cette absence de pathos, à cette pudeur, à cette retenue où rien du deuil n'est nommé tragiquement, à cette tristesse qui transparaît sans souiller le texte par des mots explicites qui ne parviendraient qu'à fixer le deuil dans une pauvreté objective, semblable à tous les deuils passés et à venir.

    Vous sentirez, aussi, quelle hauteur d'âme est nécessaire pour ne pas étaler et gratter ses blessures, et se donner en spectacle par un lamento larmoyant. Quelle fermeté conquise sur la dureté de la mort.

    S'il y a violence de ce texte, et il est une révolte contre la mort, la violence ne réside pas dans l'explicite, dans les mots crus et obscènes, mais dans la métaphore du chemin, avec ses tours et ses détours ; la violence réside dans ce que parvient à transmettre ce texte sans nous emberlificoter dans des états d'âme complaisamment décrits, dans ce qu'il nous dit immédiatement, de lourd et d'abrupt.

    Vous noterez, dans la partie finale, un fait de sonorité, qui confirme une des plus grandes intuitions de Ferdinand de Saussure : ce qu'il appelait les cryptogrammes (ou les paragrammes, les hypogrammes, ... sa terminologie variant) ; les brouillons de Saussure à ce propos et ses carnets ont été publié par Jean Starobinski. Et Saussure avait longuement travaillé sur des textes latins pour mettre en évidence, de manière mathématique, sans qu'aucune syllabe n'échappe à son décompte, que tout texte est hanté par des sonorités qui recouvrent exactement le "thème" du poème, en l'occurrence ici la femme défuпte dont le prénom était "Jane".

    Sans aller jusqu'à un décompte fastidieux, contez les sonorités du prénom "Jane" qui apparaissent dans les lignes finales de ce texte anglais ; c'est concluant. Si ceci n'est pas une hantise par l'objet d'amour disparu, qu'est-ce ? "ways", "day", beneath ... nail", "day ... me", "grave", "one day", tous ces mots résonnent autour du prénom "Jane".

    --- UN AUTRE EXTRAIT, LE FINAL, DU POÈME DE PAUL BOWLES :

    (...) Do not thinking, give no reasons,
    have no sensations, make no apologies.
    The anguish was not real enough,
    the age of terror too short-lived.
    They thought that all was finished, left behind.
    They were sure there must be other ways.

    I am the spider in your salad, the blooodsmear on your bread.
    I am the rusted scalpel, the thorn beneath your nail.
    Some day I shall be of use to you, as you can never be to me.
    The goats leap from grave to grave, and nibble at last year's thistles.
    In the name of something more than nothing, of Sidi Bouayad,
    and all who have wisdom and power and art,
    I am the wrong direction, the dead nerve-end, the unfinished scream.
    One day my words may comfort you, as yours can never comfort me.

    ---- TRADUCTION FRANÇAISE DE DANIEL MARTINEZ :

    (...) Ne pas penser, ni donner d'explications,
    pas d'états d'âme, ni d'excuses à présenter.
    L'angoisse n'était pas assez vraie
    et le temps de l'effroi de trop courte durée.
    Ils pensaient que tout cela était terminé, derrière eux.
    Certains qu'il devait y avoir d'autres chemins.

    Je suis l'araignée dans ta salade, la tache de sang sur ton pain.
    Je suis le scalpel oxydé, l'épine sous ton ongle.
    Un de ces jours je te serai utile comme jamais tu ne sauras l'être pour moi.
    Les chèvres bondissent de tombe en tombe, et grignotent les chагԁons de l'année dernière.
    Au nom de quelque chose qui est plus que le rien, au nom de Sidi Bouayad,
    et de tous ceux qui ont la sagesse, la puissance et l'art,
    je suis la fausse direction, la terminaison nerveuse abolie, le cri ininterrompu.
    Un jour mes paroles pourraient te réconforter,
    alors que les tiennes ne le pourront jamais.


    ---- Je me refuse à faire une exégèse de ce poème (qui pourrait être entreprise). Je préfère me laisser рéпétгег par ces dernières images, et par cette dernière phrase "Un jour mes paroles pourraient te réconforter, alors que les tiennes ne le pourront jamais." ; par ce sentiment d'amour sans espoir de retour, tout de dévouement, où l'un articule des mots qui tгапspercent on ne sait quelles vacuités pour résonner à l'oreille d'une femme effacée, disparue, mais subsistante, présente, on ne saurait dire où, dont la Ьоuсhе s'ouvre sur un silence articulé formant des semblants de mots qui sonnent vainement à l'oreille de Paul Bowles.

    Peut-être Bowles espère-t-il prêter ses mots à sa femme devenue comme un souffle évanescent ?
  • 1960 Membre élite
    1960
    • 28 octobre 2012 à 00:15
    ???
  • le-ptit-con Membre élite
    le-ptit-con
    • 28 octobre 2012 à 00:27
    GABRIELLE !
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 28 octobre 2012 à 03:14
    ???

    Oui, Hugo, si nous prenons les premières lignes, cet homme, Paul Bowles, qui aimait sa compagne, se trouve déchiré entre de multiples attitudes mentales, les envisage et les rejette toutes.

    Tu as raison de mettre des points d'interrogation, parce que ce poème est déroutant ; il ne prétend pas tranquilliser ; et il ne vise pas à la facilité. Pourtant nul hermétisme des mots, au contraire une grande simplicité du vocabulaire qui rend inapparente la difficulté que nous avons à comprendre.

    Comment "résumer ce poème" long, pour la première fois traduit en français par Daniel Martinez (directeur de la revue "Diérèse") : la désorientation, et le trop-plein de la douleur.

    Surtout la désorientation.

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