Un Bel Après-midi
Lyon n'avait jamais été aussi belle aux yeux de Yohan. Celui-ci se mit à chanter doucement, puis de plus en plus fort, mais cessa de peur d'être ridicule. Il leva la tête, rêveur, et observa les nuages... celui-ci ressemblait à une rose. Celui-là à un coeur... Plus vite qu'il ne l'aurait pensé, il se retrouva devant la porte.
Sans attendre, il sonna. Quelques secondes s'écoulèrent. Les tempes de Yohan battaient. Comme personne n'ouvrait, il sonna une nouvelle fois. Mais rien ne se passa. Il frappa, sonna, frappa, sonna encore et encore... puis il décida d'attendre.
Il attendit une heure. Puis deux. Au bout de trois heures, désespéré, il se leva, et après avoir sonné une dernière fois, tourna les talons et s'en alla. Mais à peine fut-il en route qu'un bruit de verrou attira son attention. Il fit volte-face, et aperçut Bérénice sur le pas de la porte.
- Je... excuse-moi, dit-elle. Je suis désolée, je... je...
- Tu es si angélique, la coupa Yohan.
- Entre, ajouta Bérénice.
Yohan рéпétгa dans la salle à manger avant de se laisser choir dans un fauteuil. Un silence s'ensuivit. Puis Bérénice, qui le regardait, lança doucement:
- Alors? Tu ne m'embrasses pas?
Yohan sourit.
- Je fais durer le рlаіsіг, dit-il.
Puis il ajouta:
- Approche...
Bérénice s'exécuta, et Yohan posa sur sa Ьоuсhе un Ьаіsег silencieux. Puis un autre. Encore un.
- Je...
Mais elle n'eut pas le temps de finir sa phrase, ni même de la commencer, puisque Yohan la gratifia cette fois d'un long et tendre Ьаіsег. Quand cela fut terminé, Bérénice sourit.
- C'est toi qui embrasses le mieux de tous mes аmапts, dit-elle.
- Petite dévergondée, rit Yohan.
- Je t'aime, dit Yohan.
- Je t'aime aussi, dit Bérénice.
Cette phrase, ils se l'étaient répétée des milliers de fois. Mais jamais elle n'avait perdu de son sens.
- Sais-tu que cela fait trois ans déjà que nous nous sommes rencontrés? Et je n'ai jamais aimé une femme autant que toi. Car les autres étaient des femmes ordinaires.
- Voyons... tu vas me faire rougir, murmura Bérénice.
- Pourquoi? S'écria-t-il. Tu es la personne la plus sublime que je n'ai jamais connue! La plus sublime de tout Lyon! Les gens ne t'arrivent pas à la cheville.
- Mais et toi, tu es si galant...
- Cela n'est rien à côté de toi. Lorsque je t'embrasse, j'ai l'impression que je m'envole. Quand je te quitte, j'ai l'impression que mon coeur se fait piétiner par un féroce Bobbie, ou tгапspercer par mille lances empoisonnées.
- Mais toi aussi, Yohan, tu as beaucoup de qualités...
- Embrassons-nous encore... souffla Yohan.
Ils s'embrassèrent donc. Au loin, on entendait ''La Mer'' de Trenet. D'où cela venait-il? Quelle importance, du moment que c'était là. Bientôt, la musique, l'amour, les entraînèrent dans un tourbillon sans fin. Il n'y avait plus de plafond, plus de mur. Lyon était loin. Ils virent passer un pommier, au dessous d'eux. Puis deux. Maintenant, ils étaient sur la mer. Ils frissonnèrent... était-ce le vent qui s'était levé et qui faisait frémir un peu leur peau? Quelques nuages voilèrent le ciel. A mesure que les notes s'envolaient, la musique devenait de plus en plus belle, et le ciel de plus en plus gris. On se serait cru dans un tableau de Rubens. Des larmes de joie dans la voix, la musique jouait. Quelques gouttelettes de pluie vinrent alors troubler cet océan, tels des pizzicatos que le vent sifflant emportait au loin avant de les renvoyer à la figure des amoureux. Après quelques instants les gouttes grossirent, s'écrasant lourdement sur la surface de l'eau. Bérénice, que la folie saisissait, se voyait exploser au milieu des éclairs... Plus la musique jouait plus le temps s'agitait, plus le ciel s'assombrissait, plus les vagues grandissaient, se brisant bientôt contre leurs pieds dans une explosion d'éсume crépitante, poussées par des bourrasques assassines... leur Ьаіsег dansait sur cet air tourmenté, cet océan symphonique, cet opéra dramatique, les vagues étaient à présent immenses et la pluie tranchait le ciel plus sombre que la plus noire des nuits, c'était affreusement grand et terriblement beau, si beau que ça faisait mal, la musique hurlait sa douleur, de plus en plus fort, les notes tourbillonnaient, le vent devenait tornade, les vagues devenaient rouleaux, les аmапts tournoyaient, autour de leurs Ьоuсhеs, autour de leurs mains... et tout s'arrêta soudain.
- Marions-nous...
- Pourquoi n'est-ce pas déjà fait?
Ils rirent. Ils étaient heureux.
Toute la nuit, ils restèrent enlacés, à parler, ou à s'embrasser.
- Je t'ai déjà parlé de Thierry? Demanda Yohan.
- Non.
- Il m'a dit un jour que je ne pourrais jamais séduire qui que ce soit, même une folle.
- Il ne faut pas écouter ce genre d'idioties... comment pouvait-il te dire ça, à toi, qui es si... attentionné!
- Tu ne le connais pas. Sa bêtise dépasse l'entendement.
- Je veux bien te croire!
Ils s'embrassèrent pendant des heures. Des jours. Des années. Si d'aventure vous ne croyez plus à l'amour, sachez qu'en ce moment même ils s'embrassent quelque part.
