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Quan vei la lauzeta mover, de Bernat de Ventadorn - Littérature & poésie

Sujet de discussion : Quan vei la lauzeta mover, de Bernat de Ventadorn
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 29 novembre 2013 à 22:56
    "Quan vei la lauzeta mover", de Bernat ( ou "Bernart") de Ventadorn, le Тгоubadour le plus tгапsi qu'il y ait eu, celui qui aura poussé au plus loin l'adoration de l'aimée sans espérer d'elle de contrepartie, donc celui qui aura le plus cristallisé l'attitude courtoise en fait d'amour, c'est-à-dire le service, la dévotion, le savoir іпtіmе d'une insuffisance vertigineuse pour pouvoir mériter quelque "merci" (quelque pitié), l'hallucination de la beauté de la dame souveraine, et la folie d'amour qui s'exprime dans un total oubli de soi-même et une désorientation ultime.


    Il n'empêche : "Quan vei la lauzeta mover sas alas contra'l rai" ne nous contera pas une aventure d'amour parvenue à son terme, mais la métaphore de l'alouette qui monte dans le ciel, et remue ses ailes sous le jour ardent du soleil est un élan, une élation, et comme un remplacement - par les mots d'une image idyllique - du bonheur qui ne sera pas atteint.


    Aussi y a-t-il bien de la passion détournée, et bien du bonheur exprimé, et comme la préfiguration d'un parachèvement de l'amour au travers d'une métaphore, qui rejoint les lieux communs du printemps et du "locus amenus" (le lieu favorable) propres aux débuts des Grands Chants amoureux des Тгоubadours de langue occitane.


    Sous le grelottement d'amour, sous la modestie, sous le fait de ne pas oser dire, l'image splendide de l'alouette, piquant droit vers le ciel est une belle manière détournée de dire ce que l'on tait par ailleurs.


    Aussi l'on aurait tort de réduire cet incipit à une simple variation sur le thème du renouveau printanier ; c'est, pour le dire crument, une image éгоtіԛuе. Il y a montée, climax, et descente, comme dans le рlаіsіг, et la jоuіssапсе.


    Bien entendu, cette interprétation fait violence à la métaphore : je la traduis, or la métaphore "dit" sans trahir ce qui ne pourra jamais être dit ; bref, je donne un mauvais exemple de ce qu'est une analyse littéraire, mais il m'importait de relever que la "joie" de l'alouette est des plus sепsuеllеs, et que toute image a ses raisons que le cœur - dans le corps - veut ignorer !!!


    Je choisis l'interprétation par Bernard Zuchetto :


  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 29 novembre 2013 à 23:07
    Dans ses "Cantos", Ezra Pound a rendu un superbe hommage, en les restituant à la littérature de son siècle, aux Тгоubadours. Ses traductions sont d'un poète majeur de la langue anglaise.


    When I see the lark display

    His wings with joy against the day,

    Forgetting, fold then fall away,

    As sweetness to his heart makes way,

    Such great envy then invades

    My mind : I see the rest take fire,

    And marvel at it, for no way

    Can my heart turn from its desire.



    Ah, I so dearly wished to know

    Of love, yet so little learn,

    For I cannot keep from loving her

    Who will not have me, though I burn.

    She stole my heart, and all of me,

    And she herself, and worlds apart ;

    Lacking herself, now nothing’s left

    But longing and the willing heart.



    For ‘I’ has no power over ‘I’

    Nor has had since the day I know

    I let myself gaze in her eye,

    The mirror that pleased me so.

    Mirror, now I’m mirrored in you,

    Profound sighs are killing me,

    I lost myself as he did too

    Narcissus gazing in the deep.



    Of every lady I despair!

    And in them I can place no trust!

    Those I once would seek to cheer

    Leave them cheerless now I must.

    Seeing her then who won’t have me,

    She who destroys me and confounds,

    I doubt them all and can’t believe,

    Knowing them other than they’re found.



    My lady shows herself, not to my good,

    A woman indeed, scorns my behest,

    Since she wishes not what she should

    But what’s forbidden her finds best.

    Now I’m fallen from all grace,

    I’ve done well on the asses’ bridge!

    And don’t know why I’m in disgrace,

    Except I’ve asked a world too much.



    Mercy’s lost, and gone from sight

    And now I can retrieve it not.

    Since she who owns to it of right

    Has none to give, and where’s it sought?

    How little it seems to those who see –

    What would she want with me poor wretch? –

    That without her nothing’s here for me,

    She lets me die who’ve no help left.



    Since with my lady there’s no use

    In prayers, her pity, or pleading law,

    Nor is she pleased at the news

    I love her : then I’ll say no more,

    And so depart and swear it’s done!

    I’m dead : by death I’ll answer her,

    And off I’ll go : she’ll see me gone,

    To wretched exile, who knows where?



    Tristram, none will hear of me:

    Off I’ll go, who knows where?

    I’ll sing no more, resigned I’ll be,

    And banish joy and love of her.


    Rendre en octosyllabes le rythme, le sens, l'alternance des rimes est d'un grand poète : le résultat est somptueux.
  • yoomy Membre suprême
    yoomy
    • 29 novembre 2013 à 23:35
    Pound était un sacré connard, ceci dit la 3ème strophe est assez sublime xo
  • alison-emma Membre pionnier
    alison-emma
    • 29 novembre 2013 à 23:37
    C'est vraiment chouette ça ! j'adore !

    Je vais apргоfопԁir à fond sur les paroles, et l'instrumentation.
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 29 novembre 2013 à 23:39
    Texte :
    1.
    Can vei la lauzeta mover/Quand je vois l'alouette qui remue
    De joi sas alas contral rai,/ De joie ses ailes à contre-jour,
    Que s'oblid' e.s laissa chazer/S'oublier et se laisser choir
    Per la doussor c'al cor li vai,./Par son coeur de douceur ému,
    Ai! Tan grans enveya m'en ve/Je conçois une telle епvіе
    De cui qu'eu veya jauzion,/ De qui je vois se réjouissant
    Meravilhas ai, car desse/Que je m'étonne de ceci
    Lo cor de dezirer no.m fon./Que mon désir ne m'aille abîmant.
    2.
    Ai, las! Tan cuidava saber/Hélas, je croyais tant savoir
    D'amor, e tan petit en sai,/De l'amour, et si peu en sais,
    Car eu d'amar no.m posc tener/Car d'amour ne me peut sevrer
    Celeis don ja pro non aurai./Celle dont rien je n'obtiendrai.
    Tout m'a mo cor, e tout m'a me,/Mon cœur et mon être elle a ravis,
    E se mezeis e tot lo mon ;/Elle-même et le monde entier
    E can se.m tolc, no.m laisset re/ Et de ce rapt n'a laissé mie
    Mas dezirer e cor volon./Sinon désir d'un cœur plénier.

    3.
    Anc non agui de me poder/Je n'ai plus eu sur moi de pouvoir
    Ni no fui meus de l'or' en saiNi ne me suis appartenu
    Que.m laisset en sos olhs vezer/Car en ses yeux elle m'a laissé voir
    En un miralh que mout me plai./En un miroir qui m'a fort plu
    Miralhs, pus me mirei en te,/ Miroir, plus dedans toi j'ai vu,
    M'an mort li sospir de preon,./ Plus m'a tué la peine aisément,
    C'aissi.m perdei com perdet se/Je me perdis comme s'est perdu
    Lo bels Narcisus en la fon. /Le beau Narcisse en la fontaine.

    4.
    De las domnas me dezesper ;/ Des dames j'ai l'espoir ôté ;
    Ja mais en lor no.m fiarai;/Jamais à elles ne me fierai ;
    C'aissi com las solh chaptener,./ Mon habitude est d'adorer,
    Enaissi las deschaptenrai./Maintenant pour viles les tiendrai.
    Pois vei c'una pro no m'en te/D'une aucun profit ne me vient,
    Vas leis que.m destrui e.m cofon,/ De celle qui me détruit et ahurit,
    Totas las dopt' e las mescre,/Lors serai de toutes le mécréant
    Car be sai c'atretals se son. /Car je sais que toutes sont ainsi.

    5.
    D'aisso's fa be femna parer/En ça, d'une femme, elle a les traits
    Ma domna, per qu'e.lh o retrai,/Mon seigneur, en ce qu'elle est le portrait
    Car no vol so c'om voler,/Car elle ne veut ce que l'on voudrait,
    E so c'om li deveda, fai./Et ce que l'on lui devrait, elle le fait.
    Chazutz sui en mala merce,/Je suis tombé en grand mépris
    Et ai be faih co.l fols en pon;/Et j'ai agi comme au fou il en prend ;
    E no sai per que m'esdeve/Je ne sais pourquoi m'atteint le folie
    Mas car trop puyei contra mon. / Si ce n'est d'être monté vers la lune.

    6.
    Merces es perduda, per ver,/La pitié est perdue, totalement,
    Et eu non o saubi anc mai,/Et moi je ne l'ai su que maintenant
    Car cilh qui plus en degr'aver,/Et celui qui en a le plus besoin
    No.n a ges, et on la querrai?/N'en a rien, où irait-il la chercher ?
    A! Can mal sembla, qui la ve,/En quel état de l'avoir admiré
    Qued aquest chaitiu deziron/Est le malheureux tгапsi de désir
    Que ja ses leis non aura be,/Car sans elle le bien lui est retiré
    Laisse morrir, que no l.aon./Sans secours, qu'on le laisse mourir.

    7.
    Pus ab midons no.m pot valer/Puis qu’avec ma dame, ne me vaut
    Precs ni merces ni.l dreihz qu'eu ai,/Prière ou pitié ou légitime droit,
    Ni a leis no ven a plazer/Et qu'en rien il ne lui agrée
    Qu'eu l'am, ja mais no.lh o dirai./Que je l'aime, jamais je n'en dirai mot.
    Aissi.m part de leis e.m recre;/Ainsi, loin d'elle je m'en vais et abandonne ;
    Mort m'a, e per mort li respon,/Elle m'a mis à mort, et ma mort lui répond,
    E vau m'en, pus ilh no.m rete,/Je m'en vais puisqu'elle ne me retient,
    Chaitius, en issilh, no sai on. /Malheureux, en exil, je ne sais vers quelles régions.

    8.
    Tristans, ges no.n auretz de me,/Tristan, vous n'aurez rien de moi,
    Qu'eu m'en vau, chaitius, no sai on./Car je m'en vais, malheureux, je ne sais vers quelles régions,]
    De chantar me gic e.m recre,/Je délaisse le chant et l'abandonne,
    E de joi e d'amor m'escon./De la joie et de l'amour je me retire.


    Traduction française de Climax69007, le Samedi 30 Novembre 2013.

    Que l'on observe le schéma - constamment maintenu - des rimes au long de ces huit ensembles d'octosyllabes : ababcdcd, et l'on verra que Bernat de Ventadorn est un grand poète :
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 29 novembre 2013 à 23:42
    Pound était un sacré connard, ceci dit la 3ème strophe est assez sublime xo

    Je sais bien que le ralliement au fascisme d'Ezra Pound ne plaide pas en sa faveur, cependant cet homme avait de la sensibilité, et entre autres mouvements іпtіmеs, de la dévotion pour les sources mêmes de la poésie, et donc pour la première poésie dite de "langue vulgaire" en Europe (après la fin de l'Empire romain), la poésie de langue occitane.
  • alison-emma Membre pionnier
    alison-emma
    • 29 novembre 2013 à 23:51
    Pound était un sacré connard, ceci dit la 3ème strophe est assez sublime xo

    Je sais bien que le ralliement au fascisme d'Ezra Pound ne plaide pas en sa faveur, cependant cet homme avait de la sensibilité, et entre autres mouvements іпtіmеs, de la dévotion pour les sources mêmes de la poésie, et donc pour la première poésie dite de "langue vulgaire" en Europe (après la fin de l'Empire romain), la poésie de langue occitane.

    Je me suis souvent posé la question. Mais je crois qu'il ne faut surtout pas faire l'amalgame entre un artiste, son oeuvre et ses choix de vie.
    Merci pour la traduction.
  • yoomy Membre suprême
    yoomy
    • 29 novembre 2013 à 23:52
    Tente une traduction depuis l'anglais 1784.gif
  • jiminy Membre émérite
    jiminy
    • 29 novembre 2013 à 23:56
    L'amour courtois, vassalique, les tгоubadours, compositeurs, poètes et musiciens médiévaux…
    en langue d'Oc au départ vers l'an 1100…
    Honneur et respect des dames de qualité.
    Les prémisses de notre musique…
    On n'en parle ni n' plus du tout de nos jours.
    Merci Climax de nous rafraîchir la mémoire.
  • yoomy Membre suprême
    yoomy
    • 30 novembre 2013 à 00:00
    Je me suis souvent posé la question. Mais je crois qu'il ne faut surtout pas faire l'amalgame entre un artiste, son oeuvre et ses choix de vie.
    Merci pour la traduction.

    Ta vision est très sage, mais je ne peux pas m'empêcher à ce jour de lire une œuvre à travers le prisme des choix de vie d'un auteur (d'un musicien, un peintre, etc). Est-ce bien ou pas, je ne sais pas. Ça viendra peut-être avec le temps xo

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