- 27 septembre 2013 à 23:24
Il est 8 h 45, ce mercredi 11 septembre. Comme chaque matin, Stephan Turk gare son scooter devant sa vitrine. Ce commerçant d’origine libanaise, débarqué en France dans les années 1980, s’apprête à ouvrir sa bijouterie nommée La Turquoise. Malgré la “fièvre de l’or” développée ces dernières années, ce n’est pas un homme riche. « Loin s’en faut », explique son avocat, Me Franck de Vita.
Le rituel est immuable. Stephan Turk soulève son rideau, ouvre la porte qui donne accès à la boutique avant de redescendre le rideau aux deux tiers. Il referme la porte derrière lui sans la verrouiller. Il n’a pas remarqué le manège de deux individus arrivés en scooter. Les braqueurs sont gantés, le visage dissimulé derrière des casques intégraux et des cagoules de motard. Ils observent patiemment les déplacements du bijoutier à l’intérieur de la boutique. Le commerçant neutralise le système d’alarme puis se dirige vers le fond du magasin en se plaçant derrière son comptoir.
C’est le moment choisi par les malfrats pour se glisser sous le rideau. L’un d’eux donne un violent coup de pied dans la porte. Les deux hommes se précipitent vers la victime en brandissant un fusil à роmре. L’agression, filmée et enregistrée par la caméra de surveillance du magasin, dure à peine deux minutes. L’assaut est violent. Anthony Asli et son complice assènent une gifle, puis un violent coup de crosse au bijoutier, contraint d’ouvrir son coffre. Le contenu — de l’or et des bijoux — est tгапsféré dans un grand sac de sport noir. Vêtu d’une veste de survêtement, le braqueur Anthony Asli (lire notre encadré ci-dessous) fait le tour de la boutique et rafle les bijoux placés dans les vitrines. Il s’empare au passage d’une arme de défense appartenant au bijoutier, un pistolet à gaz. Cette première phase dure précisément une minute trente.
Le duo s’enfuit, passe sous le rideau de fer et enfourche le scooter stationné devant l’échoppe. Stephan Turk saisit un pistolet automatique 7,65 de marque Mab dissimulé sous le comptoir, puis s’agenouille sous le rideau métallique partiellement baissé. Il met en joue le scooter qui redémarre, fait feu à trois reprises. Le bijoutier expliquera plus tard aux policiers de la PJ de Nice son intention de neutraliser le deux-roues pour récupérer le larcin, évalué à 30 000 euros. La présence d’une balle dans le pot d’échappement confirmerait cette thèse. Une deuxième ogive est retrouvée dans un mur.
Mais c’est la troisième, mortelle, qui soulève toutes les questions. Le projectile atteint le passager au-dessous de l’omoplate droite. L’autopsie détermine que la balle a suivi une trajectoire tгапsfixiante, « de bas en haut », terminant sa course dans le coeur.
C’est un point important de l’enquête. Stephan Turk affirme qu’Anthony Asli, assis à l’arrière du scooter, s’est retourné dans sa direction en le menaçant avec une arme. Aucun témoignage, aucune séquence vidéo ne permettent d’infirmer sa déclaration. La caméra de vidéosurveillance de la ville de Nice, censée balayer les lieux, était en panne. L’expertise balistique confiée à un spécialiste lyonnais devrait prochainement apporter des réponses sur les trajectoires de tir.
Une autre caméra a en revanche saisi la fuite du scooter. Il s’est renversé à environ 150 mètres des lieux après avoir heurté un véhicule en stationnement. La vidéo montre le conducteur abandonnant sur place le corps d’Anthony Asli. Il redresse le scooter, récupère le sac et le fusil à роmре puis met les gaz pour se perdre dans la dense circulation niçoise. Il est toujours en cavale et recherché.
Me de Vita estime que la version de son client « n’est infirmée par aucun témoin ni élément matériel ». Le refus du parquet de Nice de retenir la légitime défense se fonderait juridiquement sur la seule absence de concomitance entre l’agression et le tir. Le procureur Éric Bedos affirme en outre sa conviction que Stephan Turk « a tiré pour donner volontairement la mort ».
Depuis le début de l’année, 76 vols à main armée ont été commis dans les Alpes-Maritimes, dont 8 contre des bijouteries. Stephan Turk avait déjà été victime d’un cambriolage en septembre 2012. Les membres d’un gang avaient découpé “à la disԛuеuse” le rideau métallique de La Turquoise avant de s’enfuir avec un kilo d’or.
Aujourd’hui, le rideau de la bijouterie est baissé. Stephan Turk est assigné à résidence hors des Alpes-Maritimes et contraint à porter un bracelet électronique. Mis en examen pour “homicide volontaire”, ce commerçant de 67 ans a tout perdu.
@Valeurs
