Connexion :

Histoire et légende - José Hermano Saraiva - Loisirs & passions

Sujet de discussion : Histoire et légende - José Hermano Saraiva
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 10 mars 2014 à 17:59
    Ce sujet
    est animé
    par deux
    passions :
    celle de
    l'histoire,
    et celle
    du Portugal.


    ----------------------------------------------------------------------------



    Présentation du professeur José Hermano Saraiva (vous pouvez sauter ou lire cela plus tard : c'est mon avis sur cet historien vulgarisateur)


    Au Portugal, il y a eu un professeur fécond en reportages télévisés - des centaines ! - sur l'histoire du Portugal : José Hermano Saraiva, personnage polémique en lui-même, puisqu'il fut une des personnalités (moyennes) de l'Estado Novo (la dictature corporatiste, chrétienne, colonialiste, antilibérale et anticommuniste, instituée par António Oliveira de Salazar en 1928) et parce que, ministre de l’Éducation, de 1968 à 1970, le président du Conseil étant Marcelo Caetano, pendant la dernière période de l'Estado Novo, il réprima la révolte estudiantine de l'Université de Coimbra (c'est l'épisode la la "Crise Étudiante" qui ébranla le régime en 1969).


    Sa manière de raconter l'histoire s'attache beaucoup aux traces laissées par les peuplements successifs (castrums préhistoriques, châteaux, villages, ...) et par les guerres (fortifications), aussi ses émissions sont-elles l'occasion de voir les paysages du Portugal, dans de superbes vues panoramiques, non que la manière de filmer soit remarquable, mais parce que le Portugal est un beau pays ; il s'attache à la venue des rois sur les lieux, aux chartes ("forais" en portugais) accordées ou non, à l'histoire du côté des personnes institutionnelles ; nous ne manquons pas de voir la moindre chapelle des lieux racontés, et il nous dit les miracles qui se seraient produits, d'ailleurs sans la ferveur du croyant, comme une part de l'histoire, celle des mentalités ; il nous conte la fabrication de produits, sans jamais s'attarder sur la vie des producteurs, cependant on ne peut lui dénier une sensibilité certaine au difficultés de la vie humaine.


    Le succès qu'ont rencontré, au Portugal, ses émissions d'une trentaine de minutes chacune, après la Révolution du 25 Avril 1974 (qui mit fin au régime corporatiste) et jusqu'à sa mort il y a deux années, s'explique par une capacité de narration remarquable, et par la passion pour la vulgarisation historique qui, visiblement et d'une manière communicative, animait José Hermano Saraiva.


    Les Portugais(es) sont blasé(e)s du professeur Saraiva ; un Portugais lève les yeux au ciel, dans un signe d'accablement, signifiant "Encore lui, c'est trop, ça commence à bien faire" quand un Français s'intéresse à une de ces émissions historiques ; et, certes, il y a d'autres manières de raconter l'histoire (qui est d'abord un récit), et, surtout, en s'attachant aux aspects sociaux bien négligés par ce type de présentation.


    Mais, pour moi qui ne distingue pas
    chez le professeur Saraiva
    une déformation qui marquerait
    indélébilement son récit
    au coin du fascisme corporatiste
    (si ce n'est son évitement de l'histoire sociale,
    le fascisme étant le régime institutionnel
    pour détruire en actes la confrontation
    des classes sociales)
    et pour moi qui penche
    vers l'histoire sociale principalement,
    voir le professeur Saraiva décrypter un paysage ;
    en entendre raconter l'évolution historique ;
    voir les beautés fascinantes du Portugal ;
    écouter une langue portugaise distincte,
    précise châtiée, sans préciosité,
    et qui roule bien, avec peu de chuintements
    et bien peu d'escamotages de syllabes ;
    entendre mille détails, en voir autant,
    ce sont des visites guidées
    que je n'accomplirai jamais.
    Et une initiation de base,
    avant de passer à des nourritures plus consistantes.



    ---------------------------------------------------------------------------



    Histoire et légende : l'exemple d'Arruda dos Vinhos (près de Lisbonne), d'après un reportage du professeur José Hermano Saraiva


    Ainsi raconte-t-il, d'après la chronique de João Lореs, historiographe de divers règnes et le narrateur le plus doué pour brosser des tableaux avec des détails significatifs donnant chair à l'histoire, qu'en 1384, à Arruda dos Vinhos (localité très rurale, à une trentaine de kilomètres de Lisbonne), lors du passage du roi de Castille avec son épouse, Dona Beatriz, princesse portugaise, qu'il entendait faire reconnaître comme reine du Portugal, en assiégeant la ville de Lisbonne :


    "Il n'y a pas à Arruda de grands fais historiques,
    de grands événements
    mais je m'étonne beaucoup
    que l'on ne parle pas d'un fait
    [qui s'est déroulé dans les circonstances exposées plus haut].
    Comme le roi venait passer la nuit à Arruda,
    les villageois prirent peur et ils se dissimulèrent
    dans une grotte.
    Les gens du château l'apprirent,
    et ils vinrent à cette cachette,
    où ils brûlèrent vifs bien
    une quarantaine de personnes (...)
    Sur cela, l'on jette le voile du silence.
    Et on les laissa là, sans sépulture,
    si ce n'est le tгоu d'une grotte.
    Mais, par ailleurs, il y a une autre
    histoire, une légende.
    On appelle une montagne
    de cette même région d'Arruda dos Vinhos,
    "A Cova do Gigante", la tombe du géant.
    Étrange, non ?
    L'on dit qu'un géant qui terrorisait les environs
    fut tué par une intervention des hauteurs célestes
    et qu'il fut enseveli
    sous des charretées de terre,
    apportées charitablement par les villageois,
    qui ne purent que recouvrir l'énormité de ce corps,
    sans dissimuler le volume,
    et désormais il y eut une
    bosse dans le paysage (...)
    Ainsi même à un géant cruel
    l'on n'avait pas refusé une sépulture chrétienne."


    José Hermano Saraiva se demande si l'esprit populaire, en réaction à la barbarie des nobles, n'aurait pas inventé cette légende compensatrice, où un grand, un géant, trucidé, bénéficie, lui, de la bonté du peuple, et, malgré sa brutalité, trouve une "sépulture chrétienne".


    En tout cas, le professeur Saraiva
    nous dit une de ses phrases
    préférées en guise de conclusion :
    "Quoi qu'il en soit, cela donne à penser".


    Le reportage historique de José Hermano Saraiva sur la petite ville d'Arruda s'intitule "Arruda, vérité et légende". C'est en portugais, il n'y a pas de version française : j'en suis embarrassé, mais c'est ainsi.






    -------------------------------------------------------------------------



    A la suite de cette narration,
    quelques questions
    Tongaysiennes et Tongaysiens :


    - Est-ce que l'histoire vous passionne ?


    - Quelle sorte d'histoire (biographie de grands personnages, histoire économique, histoire sociale et politique, histoire plus événementielle, ...) ?


    - Pouvez-vous nous donner des exemples de vos intérêts pour l’histoire comme discipline de recherche ou comme le récit des faits, gestes et pensées des humains ?


    - Parmi cela, y a-t-il des éléments légendaires, qui ont frappé votre imagination ?


    - Du type de ce que je rapporte plus haut ? Tout autre ?



    Merci à vous !
  • yggdrasil Membre élite
    yggdrasil
    • 10 mars 2014 à 20:07
    Notre Stéphane Bern national serait donc un José Hermano Saraiva aux petits pieds... Je n'ai jamais été très client de ce genre d'émissions dans lesquelles des professeurs et animateurs passent pour d'éminents spécialistes, en compilant la bibliographie publiée par les chercheurs authentiques, ceux qui passent leur vie dans les archives à faire de la paléographie, ou a dépouiller des cartons par centaines. Certes, lesdites émissions ont l'avantage de donner au grand public le goût de l'histoire, mais elles cassent très rarement trois pattes à un canard, en raison d'un goût sur-développé pour le détail dissonant avec une maîtrise approximative des contextes généraux.

    (non, je ne vous mets pas à la question !!!)

    C'est heureux !

    - Est-ce que l'histoire vous passionne ?

    Oui, beaucoup.

    - Quelle sorte d'histoire (biographie de grands personnages, histoire économique, histoire sociale et politique, histoire plus événementielle) ?

    Intéressé par notre politique et par le fonctionnement de nos institutions, je me suis naturellement tourné vers ces deux domaines, depuis l'Antiquité à nos jours.

    - Pouvez-vous citer des exemples ?

    C'est très vaste... Depuis l'administration des royaumes sumériens jusqu'à la formation de nouveaux États dans le monde post-colonial, en passant par les métamorphoses politiques de Rome, la formation des dynasties royales durant les Haut et Bas Moyen-âges, la construction de la France, puis la modernisation de l’État, et l'apprentissage difficile de la République aux XIXe et XXe siècles.

    - Parmi cela, y a-t-il des éléments légendaires, qui ont frappé votre imagination ?

    Les légendes que je préfère sont celles des panthéons scandinavo-germaпіԛuеs. On a trop longtemps négligé leur impact dans la formation de l'imaginaire collectif.

    - Du type de ce que je rapporte plus haut ?

    Ce n'est pas exactement de la même nature ; du moins, si j'ai bien compris...
  • nigivir Membre élite
    nigivir
    • 10 mars 2014 à 20:15
    Je connais un peu plus António José Saraiva, son frère, non?

    Oui, j'aime l'histoire, Climax, mais pas assez pour répondre précisément à tes questions.
  • yoomy Membre suprême
    yoomy
    • 10 mars 2014 à 20:38
    X
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 10 mars 2014 à 20:46
    Yggdrasil, effectivement, le professeur Saraiva n'est pas un chercheur ; mais c'est un historien, pas quelqu'un qui brade l'histoire (il n'ira pas raconter Marie-Antoinette au Petit Trianon !!!) ; lorsqu'il cite des sources, il en donne exactement l'indication, et dans le reportage plus haut, il déploie la chronique de l'historiographe João Lореs, qui nous informe sur les règnes de bien des rois portugais, et il lit le texte, tandis que la caméra nous montre les lignes lues ; il a la grande honnêteté de montrer le travail des archéologues (cf le reportage plus haut), et lorsqu'il s'installe dans une exposition, et qu'il est question d'une charte communale, il ne manque pas de montrer le document s'il est conservé, et de vanter l'édition diplomatique qu'en ont procurée des paléographes (cf. "2000 anos de Lisboa").


    J'ai vraiment, après avoir vu une trentaine de ses reportages, le sentiment qu'il maîtrise parfaitement la chronologie, qu'il n'émet pas des bourdes grossières, et qu'il ne veut pas tirer la couverture à soi, en niant le travail des chercheurs.

    D'ailleurs, il enseignait au niveau universitaire (bon, ce n'est pas une garantie universelle...), et appartenait à des institutions telles l'Académie des Sciences de Lisbonne, l'Académie Portugaise d'Histoire, et l'Institut Historique et Géographique de São Paulo.

    C'est de la bonne vulgarisation ; ce n'est pas de l'Alain Decaux.


    ----------------------------------------------------------------------------


    La formation et les métamorphoses des États sont un phénomène passionnant, Yggdrasil.


    Quant aux sagas scandinaves, oui, grande est l'ignorance envers elles ; pourtant, comme tu le soulignes, elles comportent la part de l'imaginaire (scandinave) (et germaпіԛuе ?) qui devrait nous intéresser tout autant que la Chanson de Roland, ou les lais de Marie de France, ou le Roman de la Rose, ou les romans de la matière de Bretagne mise en œuvre par Chrétien de Troyes, ou les chroniques de Froissart (je sais bien que je cite là des textes qui n’appartiennent pas, sauf l'épopée et les lais, et la matière de Bretagne, à la légende).


    Le grand Jorge Luis Borges, dans un texte qui va avec son "Histoire de l'infamie", a étudié les images qui parsèment ces sagas : il était fasciné, au point d'apprendre le vieil anglais, ou l'ancien scandinave !
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 10 mars 2014 à 21:13
    Bon !

    Quelqu'un a-t-il une légende liée
    à un lieu à nous raconter ?
  • yoomy Membre suprême
    yoomy
    • 10 mars 2014 à 21:18
    J'ai édité mon message, donc si tu pouvais en faire autant avec le tien, ça m'arrangerait, merci christian_zpsc574a987.gif x
  • yoomy Membre suprême
    yoomy
    • 10 mars 2014 à 21:25
    Thanks x
  • sergeclimax69007 Membre suprême
    sergeclimax69007
    • 10 mars 2014 à 21:41
    Je connais un peu plus António José Saraiva, son frère, non?

    Oui, j'aime l'histoire, Climax, mais pas assez pour répondre précisément à tes questions.

    Hasbeen, voici ce que répond à ta question Wikipédia en portugais : "Foi o irmão do professor António José Saraiva, que chegou a ser militante do PCP, e pelo qual sempre nutriu uma profuпda admiração, apesar das diferenças políticas (...)"

    "Il était le frère du professeur António José Saraiva, qui milita au sеіп du Parti communiste portugais et pour lequel il a toujours eu une admiration ргоfопԁе, en dépit de leurs divergences politiques (...)"

    A l'article, consacré à cet António José Saraiva, dans Wikipédia, je découvre de bien belles choses sur ses champs d'investigation, la culture au Portugal, Gil Vicente, l'auteur des Lusiades, les chrétiens-nouveaux, et ceci : "Opositor ao salazarismo, foi militante do Partido Comunista Português, de que saiu em rutura, depois de uma viagem à URSS", "Opposé au salazarisme, il a été militant du Parti communiste portugais, avec lequel il a rompu, après un voyage en URSS".


    En vérité, je sens chez le professeur
    José Hermano Saraiva une certaine fibre
    populaire, pas hautaine du tout
    avec le peuple,
    appréciant (même si son point de vue
    n'est pas marxiste, du tout)
    d'en raconter les histoires ou l'histoire,
    et
    sa fraternité affectueuse, avec un frère
    ne partageant pas du tout son engagement
    au service de l'Estado Novo et
    qui aura milité au Parti communiste portugais
    parce qu'il y voyait un moyen de lutte
    contre l'Estado Novo et parce que
    la grande misère des Portugais
    devait plus que le révolter, ne me
    paraît pas anecdotique.
  • medievale Membre élite
    medievale
    • 10 mars 2014 à 21:51
    Oui j'aime l'histoire comme le prouve mon pseudo.

    De la recherche pure et dure, qui a fait de moi l'une des rares personnes à avoir fouiller les archives de Lille sur le moyen age dans la région de Béthune au XIVème siècle, faisant de vraies découvertes à partir des comptes des receveurs de baillage, histoire dite quantitative, ou comment expliqué un événement et faire revivre une époque à partir des chiffres de la vie quotidienne.
    Maîtrisant l 'ancien français non littéraire je précise, mieux que le français pour un jour décider de tout arrêter, et de passer de la recherche à la vulgarisation, pour que l'histoire, ses grands événements, ses principes soient accessibles à tous les élèves actuels de mon collègue même si ce n'est pas la matière que j'enseigne.

    J'ai quitté le monde fermé de la recherche pour m'ouvrir aux autres. Rapidement j'ai fait la part des choses, l'érudition est une forme d'enfermement , d'isolement dont je ne pouvais pas supporter les contraintes.

    Maintenant j'ai la chance d'être la personne ressource en histoire des arts dans mon collège et du coup je peux expliquer un poème d'Appolinaire sur son ехрéгіепсе de poilu en disant aux gamins ; il s'est pris un obus en pleine tronche et du coup il l'a eu mauvaise, aussi bien physiquement que moralement, en leur montrant un tableau d'Otto Dix, pour voir comment picturalement dire la même chose, et jongler entre toutes les formes pour revivre l'histoire, c'est que du bonheur.

    Ne plus faire de l'histoire pour faire de l'histoire, mais l'apporter à tous, à travers tous les angles.

    Pour ce qui est des légendes, en ce moment je revisite Oedipe. Et le coup de "je bute mon père, me tape ma mère lui fait quatre gosses avant de comprendre qui je suis et de me crever les yeux" et ben ça les dégoûte méchamment, je vois vraiment pas pourquoi c'est un mythe.

Pas encore inscrit(e) ? Créez votre profil en quelques clics seulement et profitez !